L’histoire de l’art en Acadie, dans sa conception contemporaine, débute au courant des années 1960 avec l’ouverture de l’Université de Moncton et la fondation d’un Département des arts visuels. Depuis, plusieurs générations d’artistes et d’acteurs et actrices culturel.le.s ont formé une communauté artistique toujours grandissante.
À la suite d’une recherche approfondie dans les archives de cette histoire, nous avons dégagé quelques dizaines de sujets relatifs à certains organismes, événements et individus ayant contribué par le passé au foisonnement culturel et artistique dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Certains sujets étaient déjà bien ancrés dans la mémoire collective, alors que d’autres sont demeurés jusqu’à présent plus effacés. À cet égard, nous souhaitons contribuer à l’écriture de l’histoire de l’art en posant un nouveau regard sur des événements connus et en prêtant une attention particulière à des entités qui n’ont pas profité d’une juste reconnaissance. Cette réécriture se déploie de façon dynamique : par la création artistique.
Les sujets ont été proposés aux artistes, qui ont chacun.e retenu une bribe de cette histoire afin de produire une œuvre permanente inédite, donnant ainsi un nouveau poids au passé. Conséquemment, les artistes d’Images rémanentes ont conçu des œuvres-mémoires dans lesquelles le temps s’inscrit, mais où le sujet est interprété, manipulé ou recomposé.
Faisant écho aux approches contemporaines d’écriture de l’histoire où le temps est interprété de façon organique et réseautique plutôt que de façon linéaire, notre approche commissariale s’est voulue hétérogène et fragmentaire. Le récit historique qui se dessine à travers Images rémanentes est donc constitué de vitrines diverses sur certains moments marquants, sans prétendre être englobant ou exhaustif.
Nous avons estimé important de travailler dans un esprit d’équité tout en remettant en question le discours narratif dominant et en profitant du recul que procure le passage du temps. Certains choix de sujets ont peut-être dérouté d’emblée certain.e.s, mais il était de notre devoir de nous assurer que nos recherches mettent en lumière des angles morts de notre histoire de l’art collective. D’un autre côté, nous avons jeté un regard neuf sur certains aspects de cette histoire afin de contribuer à une meilleure connaissance et reconnaissance de ses épisodes les plus marquants.
La réalisation d’Images rémanentes s’est également voulue un contexte privilégié pour développer les relations entre artistes et commissaires, le commissariat en étant encore à ses débuts en Acadie. Ces relations sont pour nous horizontales, se déploient dans la conversation et sont fondées sur un principe d’échanges et de proximité, et c’est dans cet esprit que nous avons espoir que le développement du commissariat se poursuivra dans la région.
Afin de tisser un fil conducteur entre les œuvres, bien qu’elles soient issues de pratiques très divergentes, nous nous sommes imposé un cadre théorique qui rapproche deux concepts clés : la postproduction et le palimpseste.
Selon le concept de postproduction, les œuvres existent comme des produits pouvant être interprétés, adaptés ou manipulés à des fins artistiques (Nicolas Bourriaud, 2003). En habitant activement la matière déjà informée, les artistes l’inscrivent dans de nouveaux contextes en prolongeant le récit et en permettant de nouvelles compréhensions des récits précédents. Pour sa part, le concept de palimpseste renvoie aux objets qui révèlent la superposition de textes en couches surajoutées ou qui entretiennent une relation implicite de coprésence avec d’autres objets du passé (Laurent Olivier, 1982). En renvoyant à des références antérieures, l’œuvre d’art palimpsestuelle propose une réactualisation des formes préexistantes.
Dans ces réflexions se rejoignent l’idée que la matière est informée préalablement à sa réutilisation par les artistes et celle que la mémoire est en construction perpétuelle. En conservant sa capacité de témoigner, la matière est réaménagée par l’artiste afin de répondre à de nouveaux contextes. La transformation et la récupération sont au cœur de ces approches théoriques et engendrent de nouvelles versions de la mémoire.
Les projets artistiques qui ont émergé de ce cadre théorique témoignent de la pluralité des empreintes que peut laisser le passé sur le présent. Les artistes ont abordé les sujets historiques proposés par le biais de plusieurs approches telles que la citation directe (Maryse Arseneault, Jacinthe Loranger) ou la citation indirecte de nature conceptuelle ou formelle (Mathieu Boucher Côté, Luc A. Charette, Emilie Grace Lavoie), par des gestes de commémoration (Mario Doucette, Jean-Denis Boudreau), par l’entremise de dialogues intergénérationnels (Marika Drolet-Ferguson, Alisa Arsenault), par la poursuite en continuité d’histoires inachevées (Jared Betts, Marjolaine Bourgeois) ou par la référence à d’autres disciplines (Mathieu Léger, Dominik Robichaud). Ces regroupements demeurant perméables, nous invitons à la réinterprétation continue de ces moments historiques et de ceux qui sont encore à venir.
Michelle Drapeau et Elise Anne LaPlante
Commissaires
Elise Anne LaPlante et Michelle Drapeau, commissaires d'Images rémanentes
Candidate à la maîtrise en histoire de l’art à l’Université Laval, Michelle Drapeau est une commissaire de la relève originaire de Moncton et basée à Québec. Elle compte à son actif des expériences à titre de conservatrice adjointe de l’art actuel au Musée national des beaux-arts du Québec, de rédactrice de contenu pour la médiation dans cette même institution, de coordonnatrice du Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul et d’auxiliaire d’enseignement en histoire de l’art à l’Université Laval.
Parallèlement à son mandat concernant Images rémanentes, elle est commissaire adjointe de Manif d’art, la biennale de Québec, commissaire des expositions du réseau des bibliothèques de Québec et chargée de projet pour la Maison de la littérature. Elle s’implique dans la communauté artistique à titre de trésorière au conseil d’administration de la Foire en art actuel de Québec, d’animatrice du magazine culturel hebdomadaire À l’est de vos empires et de membre de jurys pour divers prix en art actuel, en plus d’écrire des essais critiques sur l’art.
Candidate à la maîtrise en histoire de l’art à l’Université du Québec à Montréal, Elise Anne LaPlante est commissaire indépendante et travailleuse culturelle. Elle s’intéresse particulièrement à la représentation des femmes artistes dans l’histoire de l’art et a notamment mené une recherche sur le sujet en Acadie. Elle s’intéresse également aux archives, à l’écriture sur l’art et aux pratiques alternatives qui exploitent les zones floues entre les disciplines et qui reprogramment l’histoire de l’art à des fins artistiques.
Elise Anne s’implique activement dans son milieu, entre autres par l’écriture de textes critiques (Liaison, Astheure, catalogue de l’exposition Harias de Mario Doucette), par la coordination d’événements (festival RE:FLUX, Symposium d’art/nature, atelier « L’art visuel s’écrit »), par l’enseignement (chargée de cours à l’Université de Moncton), ainsi que par ses projets d’expositions en tant que commissaire : Dérouler l’archive : LASART (1982) revisité (2015, 2017), (RE)voir (2016), Tombées dans les interstices (2017, 2018), Images rémanentes (2018).